Rami Feghali

Le mot libanisation est apparu dans les années 1980 pour décrire la désagrégation du Liban : un pays autrefois prospère, miné par les divisions communautaires, la corruption et l’effondrement de l’État.

Il désigne le processus par lequel un État perd sa cohésion et sombre dans l’impuissance politique. Quarante ans plus tard, ce terme résonne pour la France. La question est brutale : la France est-elle en train de se “libaniser” ?

Une Ve République fragilisée

Cette interrogation prend tout son sens quand on observe la scène politique française actuelle. Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024, aucune majorité claire ne s’est dégagée. François Bayrou, nommé Premier ministre, a dû renoncer faute de soutien parlementaire. En septembre 2025, Sébastien Lecornu a été nommé, puis démissionné en moins d’un mois, face aux divisions internes et au refus de compromis des partis.Emmanuel Macron, affaibli, a demandé à son gouvernement de négocier avec tous les partis pour “trouver un terrain d’entente”. Ce scénario révèle un affaiblissement du pouvoir exécutif et illustre combien la Ve République, conçue pour incarner l’autorité et la continuité, vacille. La France connaît désormais une instabilité structurelle qui ouvre la voie à une fragmentation politique.

Le miroir libanais

Cette fragilité française rappelle le Liban, où l’impasse politique est chronique : présidences vacantes, gouvernements de transition, institutions paralysées. C’est ainsi que certains acteurs politiques finissent par défendre leurs intérêts propres au détriment du bien commun.En France, un symptôme similaire apparaît : les partis ne collaborent plus lorsque leur majorité n’est pas assurée. La politique n’est plus un débat, mais un affrontement de prismes idéologiques. Chacun ne voit la nation qu’à travers son propre filtre, incapable de compromis ou de vision commune. Ce blocage, combiné aux fractures sociales et culturelles déjà visibles, rapproche la France du spectre de la libanisation.

Démographie et transformations silencieuses

Ces fragilités politiques s’accompagnent d’une mutation démographique et culturelle. La natalité française est au plus bas depuis 1945 (1,62 enfant par femme), et la population ne croît plus que grâce à l’immigration. En 2022, 316 000 immigrants légaux sont arrivés, avec près de 900 000 étrangers en situation irrégulière. Les demandes d’asile ont atteint 143 000 en 2023. Ces chiffres traduisent une France qui se renouvelle mais se transforme rapidement sur le plan culturel et social.Parallèlement, les croyances évoluent : 40 % des Français associent foi et morale, et 31 % considèrent que leur religion définit leur identité. La tolérance envers les autres croyances a légèrement diminué, traduisant une société diverse mais où les tensions identitaires commencent à peser. Cette évolution démographique et culturelle accentue le besoin d’un projet national clair pour maintenir l’unité.

Retrouver le sens du bien commun

Le Liban reste paralysé depuis des années, influencé par les dynamiques régionales et faute de confiance dans ses institutions ou d’un projet commun capable de rassembler la société. La France risque d’en faire autant si elle oublie ses racines : la confiance, le civisme, la justice et la solidarité. La libanisation n’est pas une fatalité, mais un avertissement.Pour garantir sa cohésion et son avenir, la France doit réinventer sa vision collective, replacer le bien commun au cœur de l’action politique et dépasser les intérêts partisans. Sans un projet national partagé et rassembleur, une société se fragilise, s’éparpille et compromet sa capacité à construire son futur.

La France saura-t-elle tirer les leçons du Liban avant qu’il ne soit trop tard ?