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Le secteur culturel au Liban, moteur de développement durable

المصدر: Annahar
Un homme lit le journal Annahar dans un café (Nabil Ismail).
Un homme lit le journal Annahar dans un café (Nabil Ismail).
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Lynn Tehini*

Au moment où le Liban tourne à vide, plongé dans l’obscurité, les entreprises ferment et les licenciements se multiplient, la population, à bout de souffle (et de nerfs) survit plus qu’elle ne vit.
Aucun domaine d’activité ne semble épargné, en particulier le secteur culturel. Ce dernier, éprouvé depuis de nombreuses années, complètement à l’arrêt pendant le confinement, et frappé en plein cœur lors de l’explosion du port de Beyrouth, suit aujourd’hui la pente sur laquelle glisse le reste du pays. L’ensemble de la chaîne des acteurs qui le composent est victime de la crise, les libertés sont menacées, les artistes partent vers des horizons plus cléments (et compréhensifs), et le patrimoine, fortement impacté à la suite de l’explosion, peine à récolter des fonds pour se reconstruire.
Cette question a été l’une des plus négligées, voire oubliée, des politiques publiques depuis la fin de la guerre civile. Le ministère de la Culture s’est vu allouer, depuis sa création, l’un des plus petits budgets du gouvernement. Personne n’en veut, depuis longtemps, et il est souvent le dernier à être « attribué » lors de la répartition des portefeuilles ministériels, les forces politiques au pouvoir depuis la fin de la guerre civile se disputant les ministères régaliens ou de « services ».
 
 

Un secteur « vivace » malgré l’absence de « politique culturelle »
 
Par ailleurs, ce qui fait aussi défaut jusqu’aujourd’hui, c’est une vision ou une volonté pour la mise en place d’une politique culturelle globale sur laquelle convergeraient toutes les énergies afin de soutenir le secteur et de prouver qu’il est incontournable économiquement et socialement dans un pays comme le Liban. D’autant plus que le pays du miel et de l’encens, nation de diversité culturelle et religieuse, possède un riche héritage historique, patrimonial et culturel. Il a attiré, dans son passé et de manière différente, intellectuels et artistes d’Orient et d’Occident venus le découvrir ou y trouver refuge. Le Liban a été en contact permanent avec d’autres cultures grâce aux différentes populations qui ont évolué sur son territoire, et il a bénéficié au fil du temps d’une production culturelle diverse et variée.
 
Cette présence a réussi à se distinguer dans certains domaines, notamment la production cinématographique et télévisuelle, mais aussi la peinture, la photographie, la danse, etc. grâce à des initiatives privées. Le cinéma libanais, par exemple, a réussi à trouver sa place sur les scènes régionale et internationale. C’est ainsi que deux films libanais L’Insulte de Ziad Doueiry et Capharnaüm de Nadine Labaki ont atteint la finale des Oscars à Hollywood, du jamais vu dans le monde arabe.
 
Le secteur des médias et de la production au Liban comprend en 2017 à peu près 400 entreprises et emploie environ 4,5% de la main-d'œuvre totale du pays (sous-secteurs inclus) - Rapport McKinsey. Les arts plastiques ont aussi vu de nombreux artistes se distinguer dans des foires internationales et faire leur entrée dans des musées ou des collections prestigieuses. La troupe de danse Caracalla a également réussi, à travers ses chorégraphies, à exporter le patrimoine historique libanais à l’étranger.
 
 
Les téléfilms s’exportent largement dans les pays de la région. Les écrivains libanais – notamment francophones – ont souvent récolté des prix. Le pays est reconnu pour l’entrepreneuriat et la créativité de sa société civile, et le secteur culturel est probablement celui qui se bat le plus pour son dynamisme et sa vivacité. D’après l’Agenda Culturel, par exemple, 4 153 activités culturelles sont répertoriées entre 2013 et 2014.
D’un point de vue « économique », selon le Creative Economy Report 2010 publié par l’Unesco/UNDP en 2010, les Industries culturelles et créatives (ICC) ont été un déterminant majeur de la création de richesses au Liban entre 2004 et 2015, avec 6 350 entreprises et une contribution contribuant à hauteur de 4,75% du PIB en 2015, soit 2,3 milliards d’USD. Mais ce succès et cette reconnaissance sont souvent le fruit de volontés et d’initiatives individuelles émanant du privé, le ministère de la Culture n’ayant pas les capacités humaines et financières de porter ces projets dans les différents sous-secteurs de la Culture. Et la volonté politique est ailleurs.
 
Les moments « forts » du ministère de la Culture
 
Cependant, sous l’impulsion de certains ministres, conscients du potentiel de ce secteur, ce dernier a connu des moments « forts » durant lesquels certaines initiatives ont été lancées pour le soutenir et tendre la main à la sphère privée, trop souvent délaissée par les pouvoirs publics.
Ainsi, outre le sommet de la francophonie, fut lancé pour la première fois le prix du Roman arabe, le Musée virtuel d’Art Moderne consacré à la collection de l’État libanais, l’exposition permanente d’objets archéologiques à l’aéroport de Beyrouth, la Nuit des Musées, le mois de la Francophonie en collaboration avec les ambassades francophones au Liban, et quantité de protocoles d’accord dans les domaines cinématographiques et artistiques avec de nombreux pays afin de soutenir la production cinématographique ou artistique libanais, sans compter l’initiation d’un dialogue avec les principaux acteurs de la scène culturelle afin d’étudier les possibilités de développer ce secteur.
 
Et, surtout, l’initiative la plus concrète est celle qui a été initiée par le ministre Roni Araygi en 2016 et lancée par le ministre Ghattas Khoury en 2017. Le cabinet Strategy & avait été charge (Pro Bono) d’effectuer cette étude. La stratégie sert de base pour solliciter des fonds pour la culture de la Conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises (Cèdre) qui s’inscrit dans un cycle de trois conférences programmées lors de la réunion du groupe international de soutien pour le Liban.
 
L’objectif principal du Liban lors de cette conférence internationale est de lever suffisamment de fonds pour financer le plan national d’investissement en infrastructures (Capital Investment Program, CIP).
 
Les financements prennent la forme de prêts concessionnels. La durée des prêts s’étale sur vingt à trente ans, et les secteurs touristiques et culturels sont pris en compte pour la première fois au Liban avec une enveloppe prévue d’environ 250 millions de dollars (pour les 3 phases du plan). Mais, pour de nombreux motifs politiques, sociaux et économiques, la conférence n’a pu aboutir et l’instabilité politique, sociale et économique que le pays vit depuis ces deux dernières années a renvoyé la conférence aux oubliettes.
 
Par ailleurs, en 2018, le cabinet de consulting Mc Kinsey publie, à la demande du gouvernement libanais, une Vision économique pour le Liban. Parmi les recommandations , le soutien aux industries culturelles perçues comme l’un des leviers proposés pour doper l’économie du pays.
 
« Des statistiques culturelles au service du développement économique »
 
Aussi, en juin 2020, l’Institut français du Liban et le ministère de la Culture mènent une consultation en ligne auprès des acteurs du monde de la culture sur l’impact de la double crise de la Covid-19 et économique sur les acteurs culturels libanais.
 
L’objectif de cette enquête est de dresser un premier bilan général de la situation et d’identifier des solutions à court et moyen termes pour soutenir le secteur. Cinq éléments saillants en ressortent. Tout d’abord la Covid -19 a durement détérioré la situation des acteurs culturels, la crise économique est la principale cause de la dégradation de la situation des acteurs culturels (et non la crise sanitaire liée à la Covid-19 qui n’a fait que « l’aggraver »), les restrictions bancaires sur les mouvements internationaux de capitaux est un frein majeur à la reprise de l’activité culturelle (la majorité des acteurs ont une activité à l’international). Et du fait de cette crise, près de 8% des personnes ayant répondu au questionnaire ont cessé leur activité et près de 50% ne savent pas si elles pourront la reprendre.
 
L’explosion du 4 août a encore aggravé cette situation fragile, le plus grands nombre d’industries culturelles et créatives se situant dans la zone rouge (la plus proche) de l’explosion. Tout comme le domaine du patrimoine, fortement endommagé : plus de 600 bâtiments patrimoniaux ayant été détruits – partiellement ou totalement – par la catastrophe du 4 août selon la direction générale des antiquités. Les palais et les musées n’y ont pas échappé, notamment le musée Sursock dont la façade fut ravagée par l’explosion. Patrimoine bâti et patrimoine vivant se retrouvent ainsi à terre. Les répercussions de ce drame, sur un secteur déjà en proie à de grosses difficultés, ont contribué à accélérer l’exode de ses acteurs. L’Unesco, des associations locales et internationales, des organisations non gouvernementales ainsi que des fonds locaux et régionaux tels AFAC et Al Mawred el Thaqafi volent au secours et se voient dans l’obligation de lever des fonds - autant que possible - pour soutenir les ICC et les artistes, l’Etat libanais étant totalement absent du processus de reconstruction. Le secteur patrimonial et muséal est aussi délaissé par le Ministère de la Culture qui - hormis l’octroi de permis de restauration - ne semble pas avoir la capacité de lever des fonds pour reconstruire. Là aussi ce sont les collectifs, les associations et les individus (particuliers propriétaires) qui œuvrent à la réhabilitation du patrimoine bâti.
 
En parallèle, au dernier trimestre de 2019, conscient de l’impact économique que les industries culturelles représentent pour le Liban, l’ambassade de France au Liban et l’Institut français décident d’effectuer un travail d’analyse profond du secteur, afin de comprendre ce qu’il représente en termes économiques pour aboutir à des réformes fiscales réglementaires dans ce domaine. Le but est de dresser un panorama économique des industries culturelles et créatives et de démontrer leur potentiel de développement.
 
L’Institut commissionne cette étude à l’Institut des finances Bassel Fleyhane, sur financement de l’Agence française de développement (AFD). L’étude, précise et détaillée, première en son genre en ce qui concerne les industries culturelles et créatives, fournit une radiographie de l’édition, du cinéma, de la musique, des arts vivants et plastiques, de la mode, de la joaillerie et la publicité. Elle confirme le rôle que peuvent jouer ces ICC en tant que vecteurs de développement économique et garants de l’identité nationale. Réalisée dans un contexte de crises successives et multiformes – alors qu’elle était prévue initialement pour mettre en lumière les moyens de développer ces industries – elle réussit à identifier les obstacles structurels, règlementaires et fiscaux qui freinent la croissance des ICC, ainsi que les mécanismes de financement et les outils règlementaires pour les soutenir.
 
Les conclusions, parues en septembre 2020, proposent des recommandations et des pistes d’action pour une politiques active en faveur du développement et de la croissance, à travers une double temporalité : l’urgence, pour sauver le tissu culturel existant, et le long terme, afin d’atteindre un impact structurel et durable.

Un potentiel « considérable » de développement économique et social
 
Aujourd’hui, alors que le pays du Cèdre traverse la plus grosse crise financière, identitaire et sociale de son histoire moderne, il reste plus que jamais important de comprendre que la grande force des biens et services culturels est leur double nature, à la fois économique et culturelle, et que ceux-ci peuvent constituer un vecteur de développement non négligeable dans un pays comme le Liban. D’une part, le secteur porte des repères qui sont des leviers d’identité et promeut l’inclusion et la cohésion sociale et, d’autre part, il crée des emplois, et génère des revenus – directs et indirects. Ce qui en fait un potentiel considérable de développement économique et social.
 
Il est grand temps pour les pouvoirs publics de comprendre et de développer ces deux aspects. A l’échelle mondiale, les exemples illustrant la diversité et le caractère innovant de l'économie créative et sa capacité à améliorer la vie et les moyens de subsistance sont nombreux, notamment dans les pays en développement. Certes, il faut un cadre et des politiques adaptés, favoriser des politiques d'incitation, de soutien, y compris de traitement préférentiel. Au Liban, les études sont prêtes, les chiffres et les recommandations également. Il faudrait juste que les pouvoirs publics comprennent enfin que ce secteur, dans sa globalité, au-delà de son potentiel fort est une composante centrale et essentielle d’une stratégie de relance économique et de stabilisation sociale. C’est aussi et surtout une chance pour le Liban.
 
 
*Journaliste, consultante en projets culturels et ancienne conseillère au Ministère de la Culture. Membre du comité fondateur du collectif Beirut Heritage Initiative et de l'association Lebanon of Tomorrow, elle est actuellement directrice de la rédaction chez Arab News en français.
 

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