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Msaytbeh, le 26 Août, 5h du matin. Il fait chaud et humide. Au loin, on entend l’appel à la prière. Gharrouch le canari chante à tue-tête. « Chou beh min abl el daou hayda ? », j’essaye de faire rire maman qui a son air le plus stoïque que je ne lui ai jamais vu. Dès que le soleil se lève, cet oiseau se sent obligé de se réveiller avec nous, je pense qu’il a l’ambition de devenir coq un jour. Voilà neuf ans qu’il fait partie de notre famille, je le quitte lui aussi. Je boucle ma valise dans ma chambre d’enfant et d’adolescente, cette chambre dont je connais chaque petit centimètre, dont l’odeur est à jamais marquée dans ma mémoire, cette chambre où j’ai étudié, ri et pleuré, ce matelas que j’ai trainé des centaines de nuits au salon pour dormir « loin » des bombardements. Je caresse de mon regard larmoyant mes poupées, mes livres, mes tableaux. J’ai envie de crier, de hurler à l’imposture et de rester. C’est trop tard, le mécanisme est déclenché. Je tourne le dos à tout ça…
Maman est à la porte, elle me tend un sandwich de Labneh et khiar bien emballé, mais le sac en papier est humide. Elle a pleuré en cachette. Elle doit subir une deuxième fois le déchirement de voir un enfant quitter non seulement la maison, mais le pays. Cette fois, c’est moi qui pars. La petite. Elle doit encore dépasser son moi et compter sur sa foi. Sale guerre !
On s’étreint elle et moi assez rapidement, faisant un effort surhumain pour ne pas que nos regards se croisent. Dans le taxi, je n’arrive même pas à parler. Papa est avec moi, je l’ai vu essuyer une larme. J’ouvre la fenêtre, j’étouffe. Ce n’est pas la chaleur, c’est l’exil.
À peine arrivée à bord de l’avion, je fonce aux toilettes et je vomi. Vomi les bombes, vomi les morts, vomi mon départ, vomi les adieux que je venais de faire subir à celle qui m’a donné la vie.
C’était un vol MEA Beyrouth-New York. Le dernier d’ailleurs. J’ai voyagé 10 heures en compagnie d’une boîte de kleenex.
On dit « partir c’est mourir un peu », je vivais un homicide. J’étais une des multiples victimes de la guerre, sauf que ma mort était dans mon âme, pas mon corps. Même si la décision de faire mes études au Canada était mienne, ce saut extrême n’aurait pas eu lieu dans un Liban en paix. J’ai fait un choix rationnel. Mon cœur est resté sur le paillasson du 6e étage de l’immeuble Palmyra, aux pieds de maman…
Dès le premier jour en sol canadien j’ai pris une grande décision qui n’a jamais vacillé. Une sorte de flamme éternelle qu’aucune tempête de neige n’a bougé depuis ce 26 août. Plus de 30 ans d’exil et le feu sacré brûle encore et toujours en moi. Je suis LIBANAISE. Je suis née Libanaise, je vais mourir Libanaise, même si en cours de route, je suis aussi Canadienne.
Dès ce 26 août, j’ai décidé que chaque geste, chaque mot, chaque souffle, chaque exploit, chaque victoire, chaque texte, sera porteur d’un message : Le Liban. J’ai décidé, sans que personne ne me nomme, que je serai ambassadrice du Liban. J’ai décidé que j’expliquerai, je défendrai, je protègerai, je publiciserai mon pays Natal. J’ai décidé que ce virus magnifique transmis par mes aïeux est contagieux et que je contaminerai tout le monde sur ma route. J’ai décidé que quand je parlerai devant 2000 personnes et que l’on m’applaudira, ça ne sera pas Lamia que l’on célèbre, mais « la Libanaise ».
J’ai décidé ce 26 août que je quittais le Liban, mais que le Liban ne me quittera pas. Je savais que dans la diaspora je me battrai pour lui et avec lui.
Dans le mot « diaspora » on peut entendre le mot soupir et le mot espoir.
Gharrouch n’est plus, ma mère et mon père ne sont plus, mais le Liban est encore là.
Un jour, peut-être, un one-way ticket m’y ramènera.
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Lamia Charlebois
Consultante en relations publiques, conférencière, auteur et journaliste. Basée à Montréal, elle a été chroniqueuse à la radio de Radio-Canada au live morning show, avait une chronique dans L’Express et continue d’écrire pour des magazines.
