الخميس - 18 نيسان 2024

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Victime/Bourreau ou transmetteur de mots?

المصدر: An-Nahar
Zeina Zerbé
Victime/Bourreau ou transmetteur de mots?
Victime/Bourreau ou transmetteur de mots?
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Joseph Saadé est décédé le 30 mars 2016 emportant mais aussi léguant au Liban ses 87 années de vie avec ce qu'elles recèlent de beau, de brillant, de douloureux et de sombre.
Il est parti avec ses secrets et ses maux dont certains sont devenus, sans que rien de son passé ne le prévoit ou le présage, sans que lui-même n'ait pu le soupçonner un jour, des secrets et des maux de l'Histoire du Liban.
Il a eu le courage de les dire et de les dévoiler, en toute transparence, sans se fourvoyer ni s'excuser dans un livre qui lui a été consacré. Un livre dont le titre l'avait d'ores et déjà stigmatisé dans une double identité figée qui lui collera jusqu'à la fin, jusqu'après sa mort : Victime et bourreau. Malheureusement ! L'ayant connu, Joseph Saadé était un être bien plus riche et complexe que peuvent l'être une simple victime ou un simple bourreau...
Peut-être la guerre l'aurait-elle entrainé en son sein, ou l'aurait appelé à elle sans clémence ni compassion. « Quand mon fils Elie qui préparait le rallye du Liban a été tué en septembre 1975, j'ai fait une crise cardiaque et j'ai été hospitalisé pendant 20 jours. Quand mon fils Roland a été tué le 5 décembre 1975, j'ai été atteint de démence. J'avais été le 6 décembre matin à l'hôpital pour identifier son corps et celui de ses copains. Les Palestiniens lui avaient cassé toutes ses dents. Son épaule et sa hanche avaient été tranchés. Les garçons avaient été tués à coups de hache. C'était le jour du samedi noir. Je n'avais plus de limites ». A ma question sur l'interaction qu'il a pu avoir avec les combattants palestiniens, sur leurs mots, leurs réactions à son approche, Joesph Saadé dit avoir toujours été incapable de reconstituer les images. Il semble avoir été à ce moment-là comme dans un état second. Il a néanmoins pu restituer un seul moment de lucidité qu'il avait eu: «J'ai reconnu au moment du massacre un jeune qui travaillait à l'imprimerie où je travaillais. J'ai dit aux hommes qui étaient avec moi, celui-là vous me le laissez. Je l'ai épargné.Je crois que c'est le seul moment de conscience que j'ai eu»
Beaucoup de gens au Liban ont un jour porté les armes pour une raison ou pour une autre. Beaucoup ont fait la guerre, ont commis des massacres pour des raisons qu'ils s'expliquent et que, dépendamment de qui nous sommes, nous comprenons ou pas. Nous aurions souhaité qu'ils puissent eux aussi écrire leurs histoires qui ont fait l'Histoire, qu'ils nous lèguent un matériel nous permettant de comprendre. Le problème avec la guerre du Liban, c'est qu'elle n'a été ni écrite, ni dite, ni expliquée, ni commémorée, ce qui nous empêche de revenir dessus avec distance, écoute, remise en question et d'effectuer une relecture des faits. Tant que le travail de mémoire n'a pas été fait, nous serons condamnés à répéter cette guerre, comme pour mieux la dire.
A lire sur les réseaux sociaux la série de commentaires controversés, tous pleins de haine, d'acrimonie mais aussi d'hommages et de compassion à l'égard de Josesph Saadé, on croierait que le Liban était encore figé en 1975, entre une droite et une gauche qui n'en démordent pas sur ceux qui se veulent victimes et ceux qui appellent l'autre bourreau.
Peut-être est-il enfin temps pour nous de comprendre que nous avons tous été tour à tour victimes et bourreaux et, comme nous invite à le faire Samir Frangié dans son texte "Pour une Intifada de la Paix",« d'avoir le courage de reconnaître notre responsabilité commune dans la guerre qui a ravagé notre pays, ayant tous, à un moment ou à un autre, eu recours aux armes ». Peut-être qu'il est temps d'arrêter de nous accuser les uns les autres et de regarder, de chercher, d'assumer là où chacun de nous est et a été responsable. Ce serait beaucoup plus constructeur pour notre « vivre ensemble » auquel nous sommes condamnés, un vivre-ensemble qu'il va falloir, comme M. Frangié l'écrit,« refonder aux conditions de l'État et non aux conditions d'une communauté, d'un parti ou d'une milice ».
Joseph Saadé a reconnu publiquement sa part de responsabilité dans la guerre du Liban. Il s'est ouvert là où d'autres, tout autant ou beaucoup plus responsables que lui, se ferment. Ainsi, au lieu denous acharner dans un esprit communautaire, à désigner un bouc émissaire peut-être qu'il est temps pour nous, en tant que citoyens, de questionner les raisons politiques qui rendent opaque l'accès à la vérité ou aux vérités sur les histoires de massacres, de disparus de guerre et de fosses communes.
A moi, une étrangère qu'il ne connait pas, une citoyenne qui cherche à comprendre son pays déchiré et la guerre au son de laquelle elle a grandi, Joesph Saadé a ouvert la porte et les tiroirs de son histoire. Je l'ai rencontré trois fois. Une fois à l'initiative d'amis qui cherchent comme moi à comprendre la guerre du Liban, les deux autres fois toute seule. La dernière fois était le lundi 28 mars, deux jours avant son décès. Il était très fatigué. Sa lucidité était aigue, sa mémoire intacte. Je crois que c'était le dernier entretien au sujet de la guerre qu'il avait accordé. J'ai eu la chance d'en bénéficier. Pour la générosité de ces trois rencontres, je le remercie. Dans quelques-unes de mes pages de reconstruction, pour le travail de mémoire, il figure déjà.


 

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