EDITORIAL : En hommage à Fouad Boutros

Désolée à vous, qui êtes parti en laissant votre pays à son niveau intellectuel, culturel, politique et social le plus bas, vous qui avez tellement donné en tant qu'homme d'Etat, de loi et d'esprit!

Désolée à vous, le grand homme qui a tenté de changer la loi électorale en vue de la moderniser. Désolée à vous, car nous sommes aujourd'hui sans élections.

Désolée à vous, le haut diplomate, qui a essayé de faire profiter au Liban des relations dont il bénéciait avec l'étranger, afin de préserver une image de civilisation, de démocratie, de modernité. Désolée à vous si de nos jours, à l'inverse de tout ce que vous avez fait, on se sert de nos liens avec l'extérieur pour jeter le pays dans des guerres et des conflits, si l'on s'immisce dans chaque dossier pour attirer davantage de drames à un pays qui ne peut plus supporter.

Il ne manquait plus que l'affaire du cheikh Nimr al-Nimr et les déclarations faites ici et là à ce sujet. Cher Ministre Fouad Boutros, ne pensez-vous pas que nous en avons déjà assez, pour que nos dirigeants nous entrainent dans des guerres en Syrie, ou des conflits irano-saoudiens ? Ces "guerres pour les autres" menées au Liban , comme le disait votre compagnon de route à travers les grandes étapes historiques, Ghassan Tueini.

Votre Excellence M. le Ministre... Comme cette appellation convient à des gens comme vous, et comme elle ne convient pas à certains aujourd'hui ! Votre Excellence M. le Ministre qui avez prodigué de l'éducation, de la justice, de la défense à foison, mais surtout des positions patriotiques neutres, qui ont fait de vous l'As des relations diplomatiques!

Combien de fois a-t-on fait appel à Fouad Boutros pour négocier ; il était devenu le passage obligé dans la diplomatie. On ne peut oublier sa bataille pour préserver l'Etat aux côtés du Président Elias Sarkis. Car il adhérait fermement aux principes de souveraineté et d'indépendance, n'acceptant aucun compromis à ce sujet.

Aujourd'hui, nous ne faisons pas seulement nos adieux à Fouad Boutros, nous faisons nos adieux au dernier homme digne de ce nom, à un moment où ceux-ci manquent cruellement. Nous faisons nos adieux à une mémoire, à une conscience libanaise rare.

Après qu'il soit parti, on ne peut que reconnaitre la baisse du niveau politique. Celui-ci n'a cessé de se détériorer depuis l'époque de l'homme qui a accompagné les Présidents Fouad Chéhab, Charles El Hélou et Fouad Sarkis. Cet homme est parti, accompagné du vide présidentiel, lui qui a été témoin d'étapes historiques, de positions présidentielles patriotiques...

A cet immense homme, nous disons « Désolés » et « Adieu ». Nous faisons nos adieux au dernier homme d'Etat et de loi de haut niveau. Il va rejoindre les grands hommes qui l'ont précédé comme Ghassan Tueini ou Michel Khouri, et ceux qui l'ont influencé comme Michel Chiha ou Fouad Chéhab. Ils nous laissent avec les tout-petits à un sort inconnu, comme Fouad Boutros l'a dit un jour : « Dans une noirceur qui nous échappe, pas parce que nous sommes pessimistes, mais parce que c'est la vérité. Noir, c'est noir... »

Aujourd'hui, grand homme, vous nous laissez dans le noir, aux mains de ceux qui ne vous ressemblent pas et qui parient sur nous au profit d'agendas étrangers!

Alors Adieu à vous, grand homme.

[email protected] / Twitter: @michelletueini